Tre articoli in Belgio
denunciano la situazione dopo le operazioni in Bosnia e nei Balcani.
Les vétérans belges souffrent d’un mal étrange
Des dizaines de militaires belges ayant pris part aux opérations de maintien de la paix en ex-Yougoslavie, entre 1994 et 1996, présentent d’étranges symptômes qui rappellent le “syndrome de la guerre du Golfe” dont souffrent des vétérans américains de l’opération “Tempête du désert”: céphalées, vomissements, saignements de nez, difficulté de concentration, perte d’appétit… Ces soldats accusent l’armée belge de vouloir les faire passer pour des malades imaginaires. Enquête.
Les interventions militaires dans les Balkans au milieu des années 90 – sous l’égide des Nations Unies (ONU) ou de l’Alliance atlantique (OTAN) – n’ont, semble-t-il, pas été sans effets sur le plan sanitaire. Au sein de l’armée belge, des voix inquiètes se font entendre au sujet des ennuis de santé rencontrés par certains militaires depuis leur retour de mission. C’est le cas de Marc De Ceulaer, un ancien de la 68e unité de génie-combat, reconverti dans le syndicalisme en qualité de membre du bureau permanent de Syndic, la branche militaire du Syndicat libre de la fonction publique (SLFP).
Lui-même souffre actuellement de gros problèmes de santé. Il en attribue l’origine aux opérations militaires auxquelles il a pris part en Bosnie centrale en 1995 et 1996. Sans pouvoir désigner la cause exacte des maux qui l’accablent, le syndicaliste pense que les 5 mois qu’il a passés dans les parages immédiats d’une usine textile en ruine de Visoko (à 35km de Sarajevo), n’ont pas été sans altérer gravement son état de santé: “Toute la zone était recouverte d’une épaisse couche de poussière collante et grisâtre. Sans protection particulière, nous la respirions du matin au soir. À présent, je souffre de problèmes respiratoires et d’affections cutanées”, explique-t-il. “J’ai également beaucoup de peine à me concentrer du fait d’une fatigue continuelle. Du reste, je suis régulièrement pris de vomissements, de maux de tête et de saignements de nez”. Des symptômes inquiétants qui ressemblent furieusement à ceux révélés par le syndrome de la guerre du Golfe!
Le silence de la “grande muette”
Marc De Ceulaer n’est
pas le seul pour lequel ce genre de pathologie a pu être constaté.
Syndic a en effet recueilli d’autres témoignages similaires. Il
y a, notamment, celui du commandant Frank Cop. Le 1er janvier de cette
année, l’officier a été mis à la retraite après
30 ans de service pour… “affections psychosomatiques”. En fait d’affections,
l’ex-commandant Cop présente lui aussi les symptômes identifiés
chez certains de ses compagnons de régiment avec, en plus, une déficience
avérée du système immunitaire. “À un moment,
le nombre de mes globules blancs a été plus de 2 fois supérieur
à la moyenne”, observe-t-il. “Ce sont là des faits. En dépit
de cela, sur base des examens qu’elle m’a fait passer et qui ont pourtant
mis en évidence ce problème d’immunité, l’armée
parle d’affections psychosomatiques liées au stress post-traumatique
que connaissent les hommes au retour d’opérations. On m’a déclaré
inapte après 24 mois de congé de maladie avant de me pensionner
d’office. À l’arrivée, je subis une perte financière
de l’ordre de 20.000fb par mois. Je n’ai droit à aucune indemnité
complémentaire pour invalidité et on m’a même refusé
de prolonger mon congé de maladie d’un an comme j’y avais droit,
prétextant que je ne suis pas atteint d’une maladie contractée
en service mais d’un syndrome”.
Pour Frank Cop, il ne
fait aucun doute que son séjour prolongé en ex-Yougoslavie
– où il a opéré en tant qu’observateur de l’ONU aux
quatre coins du territoire – est la cause de tous ses déboires actuels.
“Avant mon départ, j’étais en parfait état de santé.
Mon dossier médical en atteste”, fait-il remarquer. Et de dire qu’il
fut exposé à plusieurs reprises à des radiations et
à des pollutions chimiques dans les zones de combat: “Il y avait
tout d’abord, en suspension dans l’air, les poussières radioactives
produites par l’explosion des missiles et des grenades utilisés
par les aviations américaine et anglaise contre les chars. On sait
que ces projectiles contiennent de l’uranium appauvri. Mais ce n’était
pas l’unique source de contamination. Par exemple, je me souviens de cette
pulvérisation des marécages d’Osiek à grand renfort
d’insecticides. Il devait s’agir de phosphates organiques dont on connaît
les effets dommageables. Une autre fois, alors que je patrouillais avec
un homologue russe dans les environs de Gracac en Croatie, nous sommes
tombés sur un troupeau de moutons, visiblement morts gazés.
Le Russe m’a dit sans hésiter: ‘Foutons le camp d’ici, ils ont utilisés
du gaz Sarin!’”
En attendant de connaître l’hypothétique résultat de ses démarches en vue d’obtenir une pension d’invalide, l’officier rumine sa frustration: “Je connais au moins 4 autres militaires belges victimes des mêmes symptômes. Et je ne vous parle pas de ceux qui ont sombré dans l’alcool ou la drogue pour n’avoir pas pu profiter d’un suivi psychologique adéquat. Mais sans doute qu’eux aussi sont des malades imaginaires que l’armée voudra faire taire”.
Rien d’étonnant, selon Marc De Ceulaer, qui suggère que la “grande muette” s’emploie à passer sous silence les témoignages de ceux qui ont pris le parti de sortir du rang. “58 gars de la 68e ont fait part de leurs ennuis de santé après leur retour. 50 ont répondu à un questionnaire médical et seulement 5 d’entre eux, dont moi, ont fait l’objet d’examens plus approfondis demandés par le Dr Theuwen, le médecin de notre unité. Une prise de sang et une radio du thorax n’ont rien mis en évidence. Nous ne sommes pourtant pas fous! En attendant, trois types ont déjà été mis à la porte de l’armée pour raisons de santé sans autre forme de procès. Quant à moi, je recueille des témoignages de personnes qui affirment que leur dossier médical a été escamoté. Selon eux, des rapports attestant de leurs problèmes de santé auraient disparus”.
Du côté de
l’armée, silence radio. Seul le docteur général major
Roger Van Hoof, chef du service médical, accepte de sortir de sa
réserve pour admettre: “Deux de nos militaires sont suivis psychologiquement
et médicalement pour, croyons-nous, le syndrome de la guerre du
Golfe”. À suivre…
“Ils doivent être soignés”
Le Journal du Mardi a rencontré le commandant Martin Zizi, responsable de la branche “Recherche” de l’état-major médical. Biologiste moléculaire et biophysicien, chargé de cours à la VUB, le professeur Zizi est à la tête du MSW, le Service d’étude et de planning en charge du Conseil scientifique auprès des ministères de la Défense et des Affaires Étrangères. Du syndrome de la guerre du Golfe au syndrome de la guerre des Balkans.
Le Journal du Mardi:
Par quoi se manifeste ce fameux syndrome?
Martin Zizi: Par toute une série de symptômes atypiques tels que migraine, perte de libido, difficulté de concentration, inappétence, anomalies de conduction des flux nerveux, etc.
À quel type d’environnement ont été confrontés les vétérans du Golfe pour présenter ce genre de symptômes?
À un environnement rendu hostile du fait de causes multiples.
Que trouvait-on dans la zone au moment du conflit?
Tout d’abord, une importante pollution atmosphérique causée notamment par l’incendie de quelque 2.000 puits de pétrole. Ensuite, du monoxyde s’est répandu en quantité dans l’air à cause des explosions répétées, produisant également des nitrates et des nitrites. Du reste, on ne savait rien, et on ne sait toujours rien d’ailleurs, des risques liés à la vie bactérienne et microbienne existant dans le désert du Koweït. Il faut savoir aussi que les militaires ont travaillé avec des toxiques industriels – de l’uranium appauvri entre autres – ainsi qu’avec des solvants extrêmement agressifs telle que l’huile utilisée pour alimenter les turbines des hélicoptères. Enfin, on sait que les Irakiens ont fait usage d’armes non conventionnelles et que bon nombre de leurs usines ont été détruites, certaines contenant de l’ypérite.
Ceci explique-t-il cela?
Il faut être prudent en la matière. À l’heure actuelle, le syndrome reste mal défini, on pense même qu’il pourrait en exister plusieurs. Le lien de causalité est difficile à établir. Par boutade, certains diront qu’en sondant la population américaine dans son ensemble, on trouverait très probablement chez elle les symptômes présentés par les vétérans du Golfe. Scientifiquement, ça se défend. Cela dit, restons sérieux. On a tout de même mesuré des paramètres objectifs chez plus ou moins 2.000 soldats ayant pris part au conflit. Ce n’est pas rien et c’est ce qui a décidé les autorités américaines à effectuer des tests sur quelque 120.000 hommes. Les recherches, financées au niveau gouvernemental et non gouvernemental, se poursuivent. Le General Acounting Office (GAO), c’est-à-dire la Cour des comptes des États-Unis, a plaidé en faveur de la poursuite du programme de recherches de façon à trouver un traitement épidémiologique.
Qu’il s’agisse du Golfe ou des Balkans, l’armée a beau jeu de parler d’affections psychosomatiques pour expliquer les problèmes de santé de ses militaires. Votre avis?
C’est possible mais ça ne justifie pas qu’on n’y prête pas attention. Une maladie psychosomatique est une maladie. Elle doit être soignée comme une autre.
Le conflit en ex-Yougoslavie était-il selon vous favorable à l’apparition d’un syndrome de type guerre du Golfe?
Il est certain que la bactériologie des Balkans est différente de la nôtre. Mais je crois surtout que le déficit est à chercher du côté de l’encadrement psychosocial de nos hommes. Le lien entre le stress et l’immunité est évident. Un militaire fragilisé sur le plan psychologique est davantage exposé aux risques d’agression d’un germe ou d’un agent chimique. En ex-Yougoslavie, les hommes ont été soumis à un stress permanent dans une drôle de guerre qui n’a jamais dit son nom. Et c’était particulièrement vrai pour les militaires belges pour lesquels le poids de ce type de mission est souvent plus lourd à porter que pour d’autres, compte tenu de la faiblesse des moyens dont ils disposent en regard des autres armées ainsi que du manque d’encadrement psychosocial.
Que fait le service médical à cet égard?
Le service a commencé à agir sur cette problématique. Deux études sont menées conjointement. La première porte sur le rapport entre le stress et les pathologies en opération. Un médecin va mener prochainement une étude sociologique en collaboration avec des psychologues dans le cadre d’une mission au Kosovo. La seconde est plus globale et concerne la façon dont le militaire et sa famille vivent ces opérations à l’étranger.
On a le sentiment que les aspects médicaux et psychologiques de ces missions sont les plus négligés par la hiérarchie. Le service médical est-il le parent pauvre de l’armée?
Il nous est toujours demandé de prévoir les risques de façon optimale et professionnelle. C’est ce que nous nous efforçons de faire en sachant que nous ne sommes pas infaillibles et que nos moyens sont effectivement limités. Pour ma part, je plaide pour que le service médical ait davantage son mot à dire dans l’encadrement des missions. Mais, sur le terrain, quelle doit être la priorité entre l’achat de carburant et le recours au psychologue? Tout dépend du caractère de la mission qu’on confie à l’armée belge. C’est ce qui doit être redéfini selon moi.
Que proposez-vous de façon à éviter les litiges apparus entre certains militaires et l’état-major au sujet de leur état de santé au retour de missions?
Je demande depuis 3 ans qu’on mette en œuvre une véritable médecine du travail au sein de l’armée. En ce qui concerne la problématique que vous évoquez, j’ai proposé qu’on prélève systématiquement un échantillon de sang à tout militaire avant son départ en mission et après son retour. Cet échantillonnage serait “crio-préservé”, ce qui permettrait de déceler l’origine d’une quelconque infection, qu’elle survienne au bout de 20 jours ou de 20 ans. En créant cette “sérothèque”, on éviterait tout litige. Reste à définir un cadre légal et éthique de manière à répondre aux craintes des patients inquiets de l’usage qu’on pourrait faire de l’échantillon prélevé. Certains, par exemple, imaginent déjà l’armée, et donc l’État, s’en servir pour établir leur carte chromosomique dans le but d’isoler chez eux un gène de cancer ou bien encore les découvrir sidéens ou cirrhotiques, pour les écarter par la suite, histoire d’éviter de payer une pension.
par Frédéric
Loore
Le ministre de la défense intoxiqué ou… toxique?
Une centaine de militaires belges envoyés en mission au Kosovo ont été contaminés par de l’amiante. L’État-major de l’armée et le ministère de la Défense démentent catégoriquement. Le rapport d’analyse publié par le Journal du Mardi les prend en défaut.
Dans sa dernière livraison, le Journal du Mardi s’est fait l’écho des cris d’alarme lancés par des vétérans belges de la “guerre des Balkans”, lesquels accusent ouvertement la “grande muette” de vouloir passer sous silence leur témoignage au sujet du “mal étrange” qui les accable depuis leur retour au pays (JDM n°40).
Le second volet de notre enquête concerne plus directement le Kosovo où d’autres acteurs militaires de ce théâtre d’ombres nous laissent aujourd’hui entrevoir l’envers du décor. On le sait, le bourbier yougoslave a fini par engluer la troupe après avoir vu s’envaser les chancelleries occidentales. À entendre aujourd’hui les témoins, il s’avère que les interventions militaires dans cette partie du monde – sous l’égide des Nations Unies (ONU) ou de l’Alliance atlantique (OTAN) – n’ont pas été sans effets sur le plan sanitaire.
En ce qui concerne le Kosovo précisément, Syndic – la branche militaire du Syndicat libre de la fonction publique (SLFP) – ainsi que des militaires à titre personnel, ont fait part à l’état-major de l’armée de même qu’au ministre de la Défense, André Flahaut, de leurs inquiétudes au sujet des risques liés à différents types de pollution dont ils auraient eu à pâtir sur place. Ce qu’ils craignent? Une contamination par l’amiante!
Nous avons recueilli le témoignage saisissant d’un militaire affecté à la 17éme compagnie de transport, envoyé dans la région à l’été 1999 dans le cadre de la mission Belkos 1. “Nous servions de base arrière logistique au contingent belge…”, explique-t-il. “Nous avions pris nos quartiers à Kumanovo en Macédoine, à environ 25 km de Skopje. Notre job consistait à ravitailler la KFOR en carburant avec le concours de nos homologues français du Service des essences des armées. À cette fin, nous chargions chaque jour du carburant à Skopje afin de l’acheminer à Pristina et retour. Nous empruntions quotidiennement l’unique route reliant les deux localités, ce qui nous obligeait à franchir la frontière entre la Macédoine et le Kosovo au poste de Jankovic”.
À cet endroit, et tout le temps qu’a duré cette interminable noria, les hommes de la 17éme poireautaient des heures durant à attendre que la frontière absorbe le flot continu de transporteurs. “Toutes ces heures, nous ignorions que nous les passions à respirer un air empoisonné!”, accuse le militaire. “En effet, à quelque 200m de là, en territoire kosovar, se trouvait une usine endommagée par les bombardements mais toujours en activité où l’on produisait des canalisations routières dans la fabrication desquelles entrait de l’amiante importée d’Afghanistan. Je le tiens d’un observateur allemand de l’ONU en poste sur la frontière. Le plus inquiétant est qu’on se trouvait sans aucune protection particulière dans une espèce de cuvette enclavée entre deux montagnes, et où s’engouffrait un vent violent qui soulevait des nuages de poussières dont on ose à peine imaginer ce qu’elles contenaient”.
L’intéressé
a prélevé plusieurs échantillons de terre sur place
et les a transmis à Syndic, lequel a fait procéder à
leur analyse par Lisec, un institut gantois spécialisé. Interpellé
quant au risque d’une intoxication éventuelle des militaires concernés,
le ministre Flahaut a déclaré, en séance parlementaire
du 15 février dernier: “Les résultats des analyses sur les
échantillons prélevés en septembre à Jankovic
(NDLR: par les soins de l’armée s’entend, indépendamment
de ceux remis à Lisec), me sont parvenus, ces résultats sont
négatifs quant à une éventuelle présence d’asbeste
au poste frontière”.
Curieux. Car, selon le
militaire qui a effectué le prélèvement, les analyses
pratiquées par Lisec ont fait au contraire apparaître “une
haute concentration d’asbeste chrysotile, une des variétés
de l’amiante, ainsi que 4 autres métaux toxiques”. Ce que montre
effectivement le rapport d’analyse référencé 1999/11-1734.AR
du laboratoire gantois dont le Journal du Mardi a pu prendre connaissance
(Voir le fac similé, ci-contre). Et le responsable de ce labo, René
Steegmans, de confirmer: “Des fibres d’asbeste chrysotile se trouvaient
en grande quantité dans l’échantillon que nous avons examiné”.
Le ministre abusé?
De plus, le rapport met en évidence la présence dans l’échantillonnage de différents métaux, parmi lesquels le chrome et l’arsenic ne sont pas les moins nocifs. Il faut cependant apporter ici un bémol, étant donné que seule la teneur en chrome est véritablement surabondante: 204 mg/kg. “On peut dès lors parler d’intoxication du sol”, convient René Steegmans. Il y a néanmoins fort à parier que le sous-sol de nos contrées présente, ici et là, des teneurs identiques. Notons tout de même que la législation belge fixe la concentration en chrome pour les sols standards non pollués à 37mg/kg, soit trois fois moins que ce qu’a observé Lisec.
En tout état de
cause, comment expliquer qu’André Flahaut soit aussi formel lorsqu’il
se dit certain que “les résultats sont négatifs quant à
une éventuelle présence d’asbeste au poste frontière
de Jankovic”. Peut-on imaginer qu’il ait été lui-même
intoxiqué… par des résultats erronés? Et s’ils ne
le sont pas, pourquoi contredisent-ils ceux obtenus à l’issue des
analyses pratiquées par Lisec? Doit-on suspecter l’armée
d’avoir quelque peu accommodé la vérité scientifique?
Le JDM a posé
toutes ces questions au ministre de tutelle qui n’y a que peu ou prou répondu.
De la même manière, il a observé un mutisme total relativement
aux dernières informations parues dans nos colonnes, lesquelles
dénonçaient le sort fait aux témoignages des vétérans
belges concernant leur état de santé. “No comment”, également
vis-à-vis du constat alarmiste posé par le commandant Martin
Zizi - responsable de la branche “Recherche“ de l’état-major médical
- au sujet du déficit d’encadrement psychosocial des militaires
belges en opération et du rôle joué par le service
médical. Reste que 3.600 masques ont été fournis aux
unités déployées aux Kosovo, “vu les possibles risques
existants”, a signalé André Flahaut. Lesquels?
Quoi qu’il en soit, et sous réserve d’examens plus approfondis, les gars de la 17éme compagnie de transport ont du souci à se faire quant aux conséquences de leur éventuelle intoxication. À ce sujet, nous avons recueilli l’avis du Dr Pluygers, cancérologue renommé, chef du service d’oncologie de l’hôpital de Jolimont (La Louvière) jusqu’en 1986 et actuel membre d’un groupe de recherche constitué à l’initiative de la commission scientifique de l’OTAN. À ce titre, il est chargé avec d’autres de la mise au point de méthodes prédictives des risques de cancer. À l’entendre, la menace cancérigène induite par l’asbeste chrysotile est probante: “C’est une variété d’amiante blanc que l’on vous dira volontiers peu dangereuse, ce qui est faux. Les exploitants canadiens de mines d’amiante, soutenus par l’industrie de l’eternit, ont mené toute une propagande mensongère à cet égard. La littérature scientifique met pourtant en garde contre la dangerosité de l’amiante blanc. La conclusion d’une étude publiée en 1996 par le journal américain de santé publique invitait à considérer le chrysotile avec la même prudence que celle observée à l’égard des amphiboles, soit l’amiante bleu dénoncée comme très dangereuse”.
On le sait, l’amiante est la cause avérée de cancers du poumon et de la plèvre (mésothélyome) pour lesquels le temps d’apparition des premiers symptômes varie entre 20 et 40 ans. L’inhalation de fibres d’asbeste constitue le mode d’intoxication le plus certain. À ce propos, au cabinet du ministre de la Défense (où, selon nos informations, les résultats du rapport d’analyse de Lisec sont connus!), on fait remarquer que la présence d’asbeste dans le sol de Jankovic ne préjuge pas de ce qui pouvait se trouver en suspension dans l’air.
Justement, si! Compte tenu de la configuration des lieux décrits par le témoin – une cuvette empoussiérée battue par le vent - le Dr Pluygers, comme René Steegmans, s’accordent à dire que la teneur en asbeste de l’échantillon est une indication sérieuse de ce qui devait se trouver dans l’atmosphère. Et il y a plus. Le cancérologue estime que “les effets synergiques sont autant de facteurs aggravants. Par effets synergiques, j’entends les gaz d’échappement des véhicules et les fumées de cigarettes. Conjugués à l’inhalation d’asbeste, on obtient un cocktail détonnant!”. Et que font des militaires, mis en stand by pendant des heures, sinon fumer et laisser tourner le moteur de leur bahut?
Une enquête de Frédéric
Loore
Ex-Yougoslavie, retour vers l’enfer
L’embrasement généralisé de l’ex-Yougoslavie préfigure-t-il un nouveau Tchernobyl? L’emploi d’armes à l’uranium appauvri, conjugué aux bombardements des écosystèmes urbains, menacent-ils la santé des militaires belges envoyés en opération sur place? État des lieux. En marge de l’affaire de l’amiante, plusieurs observateurs ont tiré la sonnette d’alarme relativement aux risques multiples de pollution et de contamination dans les Balkans. Parmi ceux-ci, l’uranium appauvri fait figure d’épouvantail. On sait à présent que ce déchet nucléaire, issu du processus d’enrichissement de l’uranium et rendu tristement célèbre par la guerre du Golfe, a été utilisé dans le cadre du conflit yougoslave. En mai de l’année dernière, le général-major Chuck Wald a d’ailleurs reconnu que l’US Air Force a eu recours à des armements partiellement composés de ce métal lourd dont l’extrême nocivité n’est plus à démontrer.
On imagine sans peine
les effets à long terme sur les populations civiles exposées
à cette menace sans précaution particulière. Mais
quid des risques pris par les militaires belges sur le terrain, au Kosovo
ou ailleurs en ex-Yougoslavie? Leurs équipements, que l’on sait
pertinemment être sommaires, les ont-ils préservés
d’une exposition au “métal du déshonneur“? On peut en douter.
En outre, l’uranium appauvri ne représente pas la menace ultime.
Il en existe bien d’autres au sujet desquels les plus alarmistes parlent
de second Tchernobyl. Le professeur Pierre Piérart n’est pas loin
de partager cette crainte. Biologiste, professeur honoraire de l’Université
de Mons et militant de la cause pacifiste, Pierre Piérart est également
un spécialiste des pollutions résultant des conflits. Celles
qu’ils pointent du doigt en analysant la situation kosovare laissent songeurs
quant à leurs conséquences: “Les bombardements des écosystèmes
urbains et des centrales électriques ont entraîné des
rejets atmosphériques de dioxines, de métaux lourds, de PCB
ainsi que des molécules cancérigènes en pagaille dont
les effets néfastes sur la santé des populations civiles
et des militaires ne se feront sentir que dans quelques années”.
L’uranium américain prépare-t-il ses cancers belges?
Amiante et uranium appauvri. Quelques-uns des “cadeaux toxiques” hérités de la guerre du Kosovo. Les conséquences sur les populations civiles comme sur le millier de militaires belges déployés dans la région ne cessent d’inquiéter. Plusieurs mesures de protection sanitaire ont été prises. Peu ou pas appliquées selon la CGSP qui dénonce “l’irresponsabilité” de certaines autorités médicales de l’armée.
Après les risques de contamination à l’amiante entre le Kosovo et la Macédoine (lire JDM n°41), le spectre de l’uranium appauvri refait surface. Public-cible: les populations locales, les ONG et les troupes belges envoyées dans la région des Balkans. “Des risques de contamination par uranium existent depuis le début du conflit au Kosovo”, affirme Pascal Gautier, secrétaire permanent “militaires” à la CGSP (Centrale générale des services publics). “D’abord, l’ancien ministre de la Défense, Jean-Pol Poncelet, affirmait qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter” (en juin 99, le ministre écrit en effet qu’ “aucune étude sérieuse n’a pu démontrer une relation causale entre l’utilisation de telles munitions et une augmentation de cancers parmi la population locale”). ”Or, c’est faux!”, rétorque Gautier. “On constate à l’heure actuelle, dans certaines parties du Kosovo, une augmentation du nombre de leucémies ou de cancers du poumon parmi les enfants”…
Si l’uranium appauvri est moins radioactif que l’uranium naturel, sa toxicité n’est aujourd’hui plus contestée. Cette matière ne présente aucun danger au toucher, mais, lourde à l’origine, elle se déplace avec le vent et les mouvements d’air. Bref, l’uranium appauvri devient dangereux lorsqu’on le respire. Ce que confirme Pierre Pierart, professeur honoraire de l’université de Mons-Hainaut: “Lorsque l’uranium est utilisé sur des bombes, il y a combustion lors de l’impact. Celui-ci se transforme alors en poussière très volatile qui peut, si elle est inhalée, se placer sur les os, dans le sang ou les bronches. Cette poussière se retrouve surtout sur la cible touchée et, suivant la force du vent, dans un rayon d’environ 100m autour de l’impact. Elle se retrouvera aussi sur les vêtements et les équipements utilisés par le personnel sur place et sur les ‘déchets’ laissé par le projectile. Enfin, selon la force du vent et les mouvements de population, elle peut se déplacer à plusieurs kilomètres de l’impact”. Soulignant, en mai 1999, “qu’une seule particule d’uranium appauvri dans une glande lymphatique suffit à détruire le système immunitaire entier d’un homme”, le biologiste anglais Roger Coghill s’inquiétait, à son tour, d’une possible augmentation de cancers mortels au Kosovo.
Confronté à plusieurs “limitations” belges, Pascal Gautier se souvient que la prévention a tardé à se concrétiser: “La Défense nationale était parfaitement consciente qu’un risque existait. Néanmoins, l’état-major de l’armée ne reconnaissait pas qu’une contamination à l’uranium était possible concernant le personnel de l’armée. Lorsque l’affaire s’est répercutée dans la presse, l’état-major a réalisé un virage en promettant de prendre des mesures”. À partir de juillet 99, les militaires belges partant en mission seront “informés” des risques encourus. “Pour nous, ce n’était pas assez”, s’exclame Gautier. “Nous avons obtenu qu’un masque à peinture et des gants en latex soient fournis à chaque militaire partant pour les Balkans. Mais seulement à partir de juillet 99, alors que les troupes étaient déployées depuis bien plus longtemps. On a aussi obtenu que des examens soient effectués avant et après une mission au Kosovo”. Depuis le 3 décembre 1999, une directive de l’armée impose à chaque militaire partant au Kosovo de laisser un échantillon d’urine. À son retour, il devra se présenter “le plus tôt possible à l’infirmerie de son unité afin d’y procéder à la récolte des urines de 24 heures”. Enfin, “les échantillons seront acheminés au labo HMRA” qui “ventilera les résultats vers les infirmeries des unités”. Celles-ci avertiront leur supérieur des “résultats anormaux”. Bref, préventions, précautions, suivi! Inutile d’encore s’alarmer?
Pas vraiment, selon le
secrétaire permanent de la CGSP: “le ministre Flahaut a fait son
devoir, mais il est aujourd’hui limité par l’état-major ou
par certaines autorités du service médical. Nous avons aujourd’hui
la preuve de la non-collaboration des militaires avec le politique. Je
n’avance pas cela sans plusieurs témoignages qui remontent des différentes
missions en cours. Si les directives sont connues, lorsque les gens demandent
à passer les examens médicaux, il semblerait qu’une partie
des autorités médicales refuse de le faire, estimant que
cela n’est pas nécessaire. Nous dénonçons cette irresponsabilité
d’une partie des médecins de l’armée qui refusent de prendre
en compte la sécurité du personnel”.
Pour sa part, Roger Van
Hoof, médecin et chef d’état-major du service médical,
estime qu’”il n’y a pas urgence” concernant ces examens obligatoires. “Vu
la longue demi-vie de ces particules d’uranium, il n’est pas nécessaire
de procéder à des examens dans les 24 heures”. Et le médecin
militaire de préciser: “En revenant de mission, les soldats ont
droit à un congé de récupération. Alors, pour
ne pas les ennuyer, on les convoque après leurs congés pour
passer ces examens. Mais le militaire est informé et peut à
tout moment demander au médecin de l’unité de faire ses échantillons
d’urines. Enfin, le médecin du travail doit vérifier auprès
des militaires si ces examens sont bien réalisés”. Pour autant,
il semble curieux que la longue durée de vie des particules d’uranium
évacue “l’urgence” de les déceler à temps. Faut-il
attendre qu’un effet cancérigène se déclare pour agir?
“Pour l’instant, les résultats d’analyse d’urines que nous avons
reçus sont négatifs”, rassure Van Hoof. “Il s’agit d’effets
qui ne sont visibles qu’après plusieurs années et l’on ne
peut traiter un cancer avant qu’il ne se déclare. Si jamais un cas
positif se révélait avec une possibilité de cancer
ultérieur, le militaire sera suivi, même après sa pension,
et les traitements adéquats seront à charge de l’État
et du ministère de la Défense”.
Des propos qui ne rassurent nullement Pascal Gautier: “Nous avons obtenu des garanties au niveau théorique, mais leur application sur le terrain laisse à désirer. Certains médecins disent aux militaires qu’un examen médical n’est pas nécessaire alors qu’ils reviennent du Kosovo: c’est scandaleux! Ils se foutent de la santé du personnel de l’armée! Plusieurs militaires qui sont revenus de mission n’ont toujours pas passé l’examen alors que celui-ci doit être réalisé dans les trente jours après le retour. Ces témoignages proviennent de différentes missions qui n’ont pas été en contact les unes avec les autres. Il s’agit de Bel Héli (bataillon belge héliporté), Bel Med (bataillon belge médical) et Alba Lodge (unité du génie militaire envoyée pour construire des logements provisoires aux populations déplacées)... Plus on attend pour procéder aux analyses d’urines, moins on a de chance de déceler ces particules d’uranium. Celles-ci s’éliminent relativement bien par l’urine. Et l’armée n’a pas les moyens financiers de procéder à des frotti à la base du nez, dans la gorge ou à des examens pulmonaires”. Bref, en donnant du temps au temps, certaines autorités militaires tentent-elles de limiter les “risques financiers”? Si aucune particule d’uranium n’est décelée dans les urines: pas de problèmes! Et donc pas de suivi médical ni de prise en charge aux frais de l’État. Mais l’uranium peut être présent dans la gorge ou les poumons… On imagine sans peine le coût exorbitant, sur plusieurs dizaines d’années, d’un suivi médical débouchant sur un traitement pour près d’un millier de personnes. À éviter?
Et Pascal Gautier de s’inspirer Outre-Rhin pour étayer son argumentaire: “Les militaires belges sur place nous ont dit que l’armée allemande oblige désormais son personnel à brûler ses chaussures avant de rentrer en Allemagne. Ces particules d’uranium peuvent s’accrocher aux chaussures et je ne pense pas que l’armée allemande prenne de telles mesures s’il n’y avait pas de risques”. À l’ambassade d’Allemagne, malgré des contacts pris avec le ministère allemand de la Défense, on se dit dans “l’impossibilité de confirmer de telles pratiques, mais ce n’est pas exclu”. Dans un premier temps, Roger Van Hoof se dit surpris par l’information, puis glisse: “Les Allemands travaillent sans doute dans une zone où il y a eu beaucoup de cibles touchées par l’uranium. Les Belges ne vont pas dans ces zones. Et si des équipes isolées ont été là-bas, elles étaient informées, protégées et ont nettoyé leurs vêtements par la suite”.
Pour autant, les militaires, contaminés ou pas, ont-ils ramené, en Belgique, des particules d’uranium accrochées dans les interstices de leurs chaussures ou de leurs vêtements? “C’est de la poussière, le risque zéro n’existe pas!” estime Roger Van Hoof. “Mais on a essayé de diminuer ce risque au maximum”. À entendre Pascal Gautier, les limites de ces tentatives se font vite sentir: “Les particules d’uranium se transmettent aussi par le sperme. Par conséquent, le militaire qui aura été en mission au Kosovo pourrait revenir contaminé, avoir un enfant avec son épouse ou quelqu’un d’autre, et l’enfant pourrait développer une maladie cancérigène”. Une éventualité qui prend malheureusement tout son sens au regard de l’augmentation récente des leucémies et cancers chez les nouveaux-nés des Balkans…
En substance, Gautier en appelle à la prise de conscience du monde politique et des employés de l’armée: “Nous voulons que le politique impose à tous les militaires, déployés au Kosovo depuis que la première bombe a été tirée, d’être suivis médicalement via des analyses de sang et d’urines. Surtout s’ils ont été dans des zones sensibles comprenant des chars ou des usines détruits par ces bombes à uranium. Enfin, il faut que les soldats partent surprotégés et, si on n’est pas certain que la zone soit clean, qu’on n’y aille pas! L’armée belge n’a pas à être contaminée parce que les Américains ont balancé de l’uranium ou d’autres substances dont on ne connaît pas les effets”. Dans 20 ou 30 ans, on connaîtra peut-être les véritables conséquences sanitaires de la contribution belge au conflit du Kosovo. En attendant, la guerre censée éviter une “catastrophe humanitaire” a bel et bien planté les graines de celle-ci. Après le Golfe et le Kosovo, la porte est désormais ouverte à l’utilisation de munitions à uranium appauvri. Au détriment des populations civiles, victimes pour plusieurs générations.
par Olivier MUKUNA
Pollution radioactive dans les Balkans
Au déclenchement du conflit yougoslave et pendant plusieurs mois, l’aviation américaine procède à un largage continu de bombes, renforcées par un blindage en uranium appauvri (U 238). Essentiellement utilisé par les avions A-10, ce type de munitions a été tiré selon une fréquence maximale de 4.200 obus par minute. Chacun de ces projectiles contenait 300 grammes d’U238. En bout de chaîne, près de 1.300 kilos d’une matière radioactive se sont disséminés sur le sol des Balkans. Minute après minute…
De mai à juillet 1999, plusieurs voix associatives, syndicales ou politiques s’élèvent pour dénoncer ce désastre aux conséquences sanitaires alarmantes. Certaines stigmatisent également le mépris des États-Unis. En choisissant de l’uranium pour rendre le métal des bombes plus perforant, l’armée américaine s’est aussi débarrassée de déchets nucléaires très coûteux à enfouir dans le sol… Aujourd’hui, on découvre progressivement l’étendue de la pollution d’après-guerre contaminant les Balkans. Et si les retombées de dioxines ou d’amiante ont été localisées, il n’en est rien concernant l’uranium appauvri! Prétextant le secret militaire, l’état-major américain refuse de dévoiler la liste des sites détruits par les bombes à uranium. Rendant impossible toute politique de prévention un tant soit peu efficace… Ol.M.