Objet: uranium appauvri

Chères Amies

Veuillez trouver ci-dessous le texte de mon intervention au Colloque de St Denis (21 - 22 novembre 2000) sur l'uranium appauvri et la santé reproductive des femmes.

Bien amicalement

Solange



Intervention au Colloque de St. Denis, 21 - 22 novembre 2000
Les violences à l'encontre des femmes et le droit en France: Atteintes à la santé des femmes en cas de guerre
Les armes radiologiques violent le droit international
par Solange Fernex

Le thème de la violence contre les femmes est le plus souvent traité par rapport aux violences subies par les femmes en tant que personnes isolées, prises comme cibles pour détruire la société.

J'aimerais évoquer ici les atteintes à la santé des femmes suite à des actes de guerre, ou de préparation de la guerre, en particulier à leur santé reproductive. Ces armes violent le droit international, en particulier la protection des populations civiles (conventions de Genève) et la protection de l'environnement (Conventions de La Haye)

A l'occasion de la visite du président Clinton au Vietnam, la presse a largement traité le problème des défoliants, en particulier de "l'Agent Orange", qui ont provoqué de nombreux avortements et naissances d'enfants présentant des malformations congénitales. On compte actuellement près de 50.000 enfants malformés suite au déversement massif de cette arme chimique. On parle beaucoup de ces enfants, mais on oublie totalement leurs mères et le drame des familles. Mais j'aimerais insister ici sur les effets des armes radiologiques sur la santé reproductive.

En 1957, l'Organisation Mondiale de la Santé, a rassemblé à Genève les plus grands généticiens du monde, parmi eux le prix Nobel Hans Muller, le spécialiste de la drosophile, le Professeur Sievert et pour la France, le professeur Lejeune de l'Académie Pontificale.

En conclusion de leurs travaux ils ont déclaré:

"Le patrimoine héréditaire est le bien le plus précieux dont l'être humain soit le dépositaire, puisqu'il engage la vie de la descendance, le développement sain et harmonieux des générations à venir. Or, le Groupe d'étude estime que le bien-être des descendants de la génération présente est menacé par l'emploi grandissant de l'énergie nucléaire et des sources de rayonnement..."  (1)

Les effets génétiques des bombes de Hiroshima et de Nagasaki sont bien connus. Les effets sociaux le sont moins. Les populations de ces deux villes ont été et sont les victimes d'une discrimination sociale toujours vivante: personne ne veut épouser une fille dont les ascendants étaient à Hiroshima ou Nagasaki, en raison des risques qui pèsent sur les enfants à venir.

En ce qui concerne les essais nucléaires dans le Pacifique, un livre très important vient de paraître en anglais, "Les Femmes du Pacifique témoignent", qui confirme les documents recensés par Greenpeace (2). Les femmes des Iles Marshall, de Polynésie mettent au monde des bébés méduses, masses gélatineuses, dont le nom scientifique est "môle hydatiforme". Ces femmes n'osent pas en parler, car elles sont soupçonnées d'avoir violé des tabous, le nombre réel semble bien supérieur aux nombres connus. D'autres sont stériles, ou sujettes à des avortements répétés. La Ligue des Femmes pour la Paix et la Liberté s'associe à Stop Essais et autres organisations, qui demandent au gouvernement une enquête environnementale et épidémiologique sur les conséquences des 17 essais nucléaires pratiqués entre 1960 et 1967 par la France dans le Sud Algérien, 4 à Reggane, 13 à In Eker, au bord d'une des principales voies transsahariennes (In Salah à Tamanrasset). Une enquête réalisée en 1991 auprès de Touaregs de la région de Tamanrasset fait état de stérilités, d'enfants malformés, d'extinction de familles entières (3). L'impossibilité d'avoir des enfants, ou des enfants en bonne santé est pour la femme une malédiction dans la société Touarègue, de même, bien qu'à moindre titre, dans la société Polynésienne.

Ces témoignages doivent être confirmés par des étude scientifiques sur la santé publique, la radioactivité des sols, l'eau potable, les plantes et les animaux domestiques et sauvages. Au moment où l'on parle de transparence à propos de la guerre d'Algérie, ces études qui concernent la santé publique, en particulier celle des femmes, sont  indispensables et urgentes.

Le Professeur Théodore Monod, qui était opposé à l'usage de toutes les armes, affimait que faire subir aux générations futures, par des atteintes génétiques, les conséquences de nos politiques militaires est absolument "inexpiable". Ce sont en premier lieu les femmes d'aujourd'hui et de demain qui sont touchées, dans ce qu'elles ont de plus intime et de plus personnel, leur capacité de transmettre la vie.

Armes en Uranium 238, dites à "Uranium appauvri".

Depuis la Guerre du Golfe, et plus récemment au Kossovo, un nouveau type d'armes radiologiques a fait son entrée sur les champs de bataille et de bombardements: les munitions et obus en uranium 238, dites en "uranium appauvri". Ces projectiles sont pyrogéniques, ce qui signifie qu'ils s'enflamment avec leur cible au moment de l'impact. Il s'agit d'armes radiologiquement et chimiquement toxiques, qui émettent principalement des rayons alpha et dont les produits de désintégration sont des émetteurs de rayonnements bêta et gamma avec une demi-vie de 4,5 millions d'années.

Les cendres de l'incendie allumé à l'impact renferment de minuscules billes (quelques microns), très volatiles, d'oxyde d'uranium "cuit" ou "céramique"', donc non soluble. Incorporées dans l'organisme par inhalation on ingestion, elles-ci émettent de manière chronique, "à demeure", dans les poumons mais ensuite dans tous les organes où elles se fixent, de faibles doses de rayonnements. Insolubles, elles restent dans l'organisme, les systèmes et les organes pendant de longues années. Le champ de bataille en Irak, principalement la route qui mène de Bassorah à Baghdad, est contaminé pour des millénaires. Les fumées des incendies de char qui transportaient les cendres d'oxyde d'uranium ont parcouru des dizaines de kilomètres. Il semble que ce type de munitions ait servi plus tard aux Américains pour bombarder la ville de Baghdad elle-même.

Les instructions militaires américaines indiquent qu'un équipement étanche et des respirateurs sont nécessaires pour décontaminer les épaves. Les militaires du Golfe n'ont pas eu accès à ces équipements, et les Irakiens n'ont pas été informés. Il y a 200.000 vétérans américains qui souffriraient de la "Maladie de la Guerre du Golfe", et dont les femmes mettent au monde des enfants malformés.

Il n'y a par ailleurs eu aucune décontamination du champ de bataille. Les populations civiles n'ont reçu aucune indication sur les dangers qu'ils courent en ramassant des éclats d'obus, en buvant l'eau des mares qui se trouvent à proximité, en cultivant les champs qui bordent les routes.

Les hôpitaux sont pleins d'enfants cancéreux, et d'enfants malformés. Les avortements sont très fréquents. On compte que 50.000 enfants sont actuellement malades suite aux radiations, les privations causées par les sanctions n'améliorant pas le tableau.

Ce qui est absolument inacceptable, est la contamination durable d'un pays, après la fin des hostilités.

Ce type d'armes radiologiques est illégal selon le droit humanitaire international existant: en effet elles violent les 4 principes auxquels doivent se conformer les armes: le principe de temporalité, (ne pas nuire après le conflit), la protection de l'environnement (ne pas contaminer le sol et l'eau), le principe d'humanité (ne pas infliger des souffrances dépassant ce qui est requis pour les effets militaires) et le principe de protection des non-combattants (protection des civils). Etant donné que l'uranium est également un métal lourd, elles violent également la Convention d'Interdiction des Armes Chimiques.

Utilisation de l'Uranium 238 au Kossovo: Malheureusement, 9 ans plus tard, en mars 1999, ce type d'armes a de nouveau été utilisé au Kossovo par l'OTAN.

Après avoir très longtemps nié leur emploi, l'OTAN a remis à la mission d'enquête du Fonds des Nations-Unies pour l'Environnement (UNEP), une carte indiquant les lieux qui avaient été mitraillés ou bombardés avec ces projectiles. Entre 30.000 et 50.000 projectiles ou bombes ont été tirés, essentiellement près de la frontière séparant le Kossovo et l'Albanie, représentant environ 10 à 15 tonnes d'uranium 238 (4). Les armées et gouvernements de l'OTAN et de la KFOR sont conscients du problème de la contamination radioactive au Kossovo:

- Le gouvernement néerlandais a donné des combinaisons protectrices à ses soldats qui participaient à la KFOR, et qui, le 30 juin 2000, ont été retirés du Kossovo et de Metohija.

- Les Italiens et les Allemands importent toute leur nourriture, ce qui n'empêche pas de se contaminer par inhalation, en respirant ces poussières très volatiles.

- Aucune organisation humanitaire des Nations-Unies n'envoie de femmes enceintes dans les provinces du Kossovo et de Metohija. Cette mesure choque particulièrement, quand on pense aux femmes du Kossovo et d'Albanie, enceintes, ou qui vont l'être, qui se réjouissent de fonder des familles, maintenant que la guerre est finie, et qui ignorent le risque qu'elles courent.

- Le reste du personnel des Nations-Unies a le droit de refuser son affectation au Kossovo, et une note est placée dans leur dossier pour faciliter ultérieurement des compensations, en cas d'atteintes à leur santé.

-    Le Ministre de l'Environnement de Finlande a écrit à ses colllègues de l'Union Européenne pour leur demander d'interdire l'uranium appauvri dans les munitions, étant donné ses risques radiologiques et chimiques.

Et qu'en est-il en France ?

Un dossier publié en octobre 2000 par le Centre d'Etude et de Recherche sur les Conflits de Lyon (CDRPC) (5) indique que ces munitions fabriquées en particulier par Giat Industries font partie de l'arsenal type de l'infanterie et de l'aviation. Un prospectus de Giat en fait la promotion pour les ventes à l'étranger.

Le 15 mars 2000, répondant à une question orale à l'Assemblée Nationale, Alain Richard déclarait que ces munitions ne présentaient aucun danger, l'uranium 238 étant très lourd (pas de poussières) et inerte. Apparemment, ses propriétés pyrogènes et les cendres insolubles d'oxyde d'uranium ne lui avaient pas été signalées par ses conseillers.

Depuis, une commission d'enquête parlementaire vient d'être constituée sur une exposition éventuelle des combattants de l'Opération Daguet pendant la Guerre du Golfe, à l'Uranium 238 .

On se souvient que, vu l'identité du matériel français avec les équipements de Saddam Hussein vendus à l'Irak par la France, le contingent tricolore avait été cantonné par les Américains derrière leurs lignes, en Arabie Séoudite, avec interdiction de bouger, pour éviter les "tirs amis". Ce fait avait beaucoup mécontenté les officiers français. En conséquences, le contingent a sans doute peu eu l'occasion de s'exposer aux poussières radioactives sur le champ de bataille. Y a-t-il eu des manoeuvres militaires à l'arrière, pour passer le temps ? La fumée a-t-elle été entraînée jusque là par les vents du désert ?

Par ailleurs, qu'en est-il du territoire français: ce type de munitions, dont sont équipés les chars Leclerc, est-il utilisé lors des manoeuvres ? Une analyse des sols des champs de manoeuvres des camps militaires français a-t-elle été faite ? La population a-t-elle été avertie ? et en premier lieu les femmes ?

Et qu'en est-il des ventes d'armes de Giat et d'autres ? Ces armes continuent-elles à être exhibées par les marchands d'armes français lors des Salons à l'étranger, comme cela a été le cas en 1999 à Ryad, où Giat souhaitait vendre des chars Leclerc, équipés  de munitions à uranium 238 ?

Le problème des armes à uranium appauvri ou Uranium 238 concerne toutes les femmes, et non pas seulement les associations féminines dont l'objectif principal est la paix. Le premier droit humain est le droit à la vie, à une vie saine, le droit de donner la vie à des enfants sains.

Toutes les femmes et hommes de bonne volonté sont appelés à se mobiliser pour demander l'interdiction de ces armes inhumaines.

Je vous remercie

Solange Fernex
Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté,
Section Française,
114, rue de Vaugirard,
75006 - Paris



Bibliographie sommaire :

1. Effets génétiques des radiations chez l'homme, OMS, Genève 1957

2. Témoignages: Essais nucléaires français, des Polynésiens prennent la parole. Greenpeace/Damoclès, 1990.

3. Essais nucléaires en Algérie :Interviews réalisés en 1992, Solange Fernex, ECODIF, 107 av. Parmentier, 75011 - Paris

4. Facts on the consequences of the use of depleted uranium, Belgrade, 1999.

5. La production des armes à l'uranium appauvri,  cahier 5, octobre 2000, CDRPC187, Montée de Choulans, 69005 - Lyon



Résolution adoptée par le Conseil Exécutif International de la Ligue des Femmes pour la paix et la Liberté, Berlin, 4 août 2000

Uranium appauvri

le Conseil Exécutif International de la Ligue des Femmes pour la paix et la Liberté, réuni à Berlin, du 31 juillet au 4 août 2000 :

Déplore l'utilisation de munitions à l'uranium appauvri par l'OTAN au Kossovo et en Serbie et par les Etats-Unis et la Grande Bretagne en Irak. Ces armes sont pyrogènes et s'enflamment à l'impact, elles sont toxiques d'un point de vue radiologique et chimique, elles émettent principalement des rayonnements alpha et leurs produits de désintégration émettent des rayonnements bêta et gamma dont la demi-vie est de 4,5 milliards d'années.

Considérant qu'après détonation, les armes à uranium appauvri produisent des particules céramiques d'oxyde d'uranium très petites, volatiles, qui émettent de manière chronique de faibles doses de rayonnements dans l'organisme et les systèmes vitaux, dans lesquels elles demeurent fixées pendant de nombreuses années.

Reconnaissant que l'utilisation de ces armes est illégale par rapport au droit international humanitaire, étant donné qu'elles violent les quatre principaux principes s'appliquant aux armes : les principes temporel, environnemental, humanitaire et de protection des non-combattants.

Estimant que le fait que les armes à uranium appauvri soient également toxiques chimiquement, elles violent également la Convention sur les Armes chimiques:

Demande l'arrêt immédiat de la production, de la vente et de l'utilisation de ces armes dans les man†uvres et dans les situations de guerre dans le monde entier.

Demande que les pays qui ont utilisé ces armes soient tenues financièrement et moralement responsables de la décontamination des régions où ces armes ont été utilisées.

Demande que la Sous Commission des Droits de l'Homme des Nations-Unies déclare que l'utilisation d'armes en uranium appauvri est une violation flagrante des droits humains.

Demande également que ces pays garantissent un suivi sanitaire à vie de toutes les populations civiles potentiellement affectées au Kossovo, en Serbie et en Irak, ainsi que des anciens combattants de toutes nationalités d'Irak et du Kossovo.

Déplore le déni par les autorités du danger que représente l'exposition à de faibles doses de radiations lié à l'uranium appauvri, ce qui sert à perpétuer l'énergie nucléaire et la fabrication de telles armes Ce déni est renforcé par l'impossibilité dans laquelle se trouve l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) d'étudier de manière satisfaisante les effets sanitaires des rayonnements, suite à l'accord qu'elle a signé en 1959 avec l'Agence Internationale pour l'Energie Atomique (AIEA).

Insiste sur la nécessité de fournir immédiatement des informations sur les mesures de protection, dans la langue parlée par les populations concernées, centrées sur la prévention de l'inhalation et de l'ingestion de particules radioactives insolubles en re-suspension dans l'air.

Insiste sur le lancement immédiat d'études épidémiologiques de longue durée chez les populations concernées, ainsi que d'études biologiques de tous les végétaux et animaux concernés, aux frais des pays qui ont utilisé ces armes.