Libération
Plus de 2 000 obus à l'uranium appauvri testés en France
Les essais ont lieu sur deux sites militaires depuis dix ans.
http://www.liberation.fr/quotidien/semaine/20010111jeus.html
Par JEAN-DOMINIQUE MERCHET
Le jeudi 11 janvier 2001

Des obus à l'uranium appauvri sont régulièrement tirés en France, dans le cadre de deux centres d'essais de la Délégation générale pour l'armement (DGA), à Bourges (Cher) et à Gramat (Lot). Ces munitions sont aujourd'hui suspectées d'être à l'origine du «syndrome des Balkans», ces leucémies dont souffrent d'anciens militaires. Depuis 1987, plus de 2 100 obus de calibre 105 et 120 millimètres ont ainsi été testés. Selon toute vraisemblance, ces armes n'ont jamais été utilisées par la France dans le cadre d'un conflit.

Enceinte confinée. Comme le révélait Libération du 15 juin 2000, le centre d'essais de Gramat (CEG) abrite le «site de tir uranium» où sont mesurés les effets de l'impact de ses obus contre des blindages. L'hiver dernier, cet établissement très secret avait été sous les feux de l'actualité, lorsqu'une équipe de spéléologues s'y est retrouvée coincée dans un grotte pendant plusieurs jours. Au pied de grandes falaises de calcaire, une tranchée de deux cents mètres aboutit à une énorme sphère de béton blanc.

Une ou deux fois par an, une dizaine d'obus sont tirés dans cette enceinte confinée. L'air est soigneusement filtré afin de bloquer toutes les particules d'une taille supérieure à 0,1 micron. La radioactivité est sans cesse contrôlée et les rares personnels soumis à une surveillance particulière. C'est dire si la DGA prend au sérieux les risques de contamination chimique et radioactive, ceux-là même que le ministère de la Défense s'ingénie à minimiser.

Tests en plein air. Le polygone de tir de l'ETBS (Etablissement technique de Bourges) s'étend sur une trentaine de kilomètres à proximité de la capitale berrichonne. C'est le second lieu d'essais des obus à l'uranium appauvri. En dix ans, environ 1 400 tirs y ont eu lieu, soit deux fois plus qu'à Gramat (750). Il s'agit essentiellement d'étudier leur balistique et les munitions finissent leur trajectoire dans du sable. Là encore, les tests qui se déroulent en plein air sont entourés de nombreuses précautions, explique-t-on à la DGA.

En revanche, l'armée affirme n'avoir jamais essayé ces munitions. «Nous n'en avons jamais tiré à l'exercice ou à l'entraînement», assure le lieutenant-colonel Martin Klotz, en charge des obus à l'uranium appauvri à l'état-major de l'armée de terre. «Pour former les équipages de char, nous utilisons des simulateurs.» L'armée de terre possède un petit stock d'obus de 105 mm, répertoriés sous le sigle barbare d'APFSDS-T OFL 105 E2. Ils sont entreposés à Brienne-le-Château (Aube). En revanche, l'armée de terre ne dispose pas de telles munitions pour son nouveau char Leclerc, contrairement à ce qui a été longtemps affirmé. L'obus de 120 mm est techniquement prêt, mais la décision de le produire n'a pas encore été prise.

Ces obus sont fabriqués par Giat-Industries, dans son établissement de La Chapelle-Saint-Ursin (Cher), à partir de «flèches» en uranium appauvri usinées par la Société industrielle du combustible nucléaire (SICN, groupe Cogema) à Annecy.

Chirac pour «une totale transparence»
L'Otan, qui n'a «rien à cacher», crée un «comité spécial».

Par JEAN-DOMINIQUE MARCHET

«Dans trois jours, on n'en parlera plus.»  Alain Richard, ministre de la Défense

La polémique sur l'uranium appauvri (UA) horripile Alain Richard. «Dans trois jours, on n'en parlera plus», confiait, hier, le ministre de la Défense durant ses «vœux à la presse», avant de s'en prendre vivement à l'attitude de l'Allemagne et de l'Italie. Ces deux pays, qui ne possèdent pas de munitions à l'UA, mais avec lesquels il est question de construire une défense européenne, demandent un moratoire sur ces armes, que la France refuse.

Plus diplomate, Jacques Chirac a souhaité, durant le Conseil des ministres, que «cette affaire soit traitée dans une totale transparence», a indiqué Catherine Colonna, porte-parole de l'Elysée. «En tant que chef des armées, je reste particulièrement attentif à la protection de la santé de nos militaires», a ajouté le président de la République. Le porte-parole du gouvernement, Jean-Jack Queyranne, a immédiatement fait savoir qu'au cours du Conseil des ministres, le Premier ministre «se plaçait dans le cadre du principe de précaution et du principe de transparence».

A Bruxelles, le secrétaire général de l'Otan, George Robertson, a annoncé hier la mise en place d'un «comité spécial» au sein de l'Alliance atlantique, chargé d'étudier les conséquences éventuelles de l'usage de ces armes sur la santé. L'Otan «n'a rien à cacher», a-t-il ajouté.

Une transparence dont a enfin fait preuve, hier, l'armée américaine, qui a reconnu avoir tiré des munitions à l'UA sur le base de Grafenwoehr, en Bavière (Allemagne). La veille, un porte-parole de l'US Army assurait encore le contraire. En 1987, des obus à l'uranium ont bien été employés une fois, mais «par erreur». Puis, en 1988, un char qui contenait, «par inadvertance», de telles munitions a brûlé.

Enfin, le ministre de la Défense italien Sergio Mattarella a indiqué hier que «30 militaires italiens sont suspectés d'être victimes du syndrome des Balkans, dont 7 sont décédés». 21 d'entre eux ont servi dans les Balkans.



Voir aussi: L'Osservatorio scrive al Ministro della Difesa Alain Richard (25 luglio 2000)
Si le ministre voulait savoir, il pouvait savoir. S'il voulait.