Balkans : les morts d'après la guerre
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Six jeunes Italiens, anciens « soldats de la paix » en Bosnie, sont morts récemment de cancer. « Que l’OTAN dise la vérité ! » exige le président du conseil. L’usage de munitions contenant de l’uranium appauvri est mis en cause. Cette affaire rappelle le « syndrome du Golfe »

Mis à jour le jeudi 4 janvier 2001

BRUXELLES de notre bureau européen

En demandant à l’OTAN de lui fournir des explications sur l’utilisation de munitions contenant de l’uranium appauvri au cours de la guerre de Bosnie, le président du conseil italien, Giuliano Amato, a donné un coup de projecteur sur une polémique qui, pour être ancienne, a pris une soudaine ampleur ces dernières semaines dans plusieurs pays de l’Alliance atlantique. La mort d’un sixième soldat italien ayant participé aux opérations en Bosnie, en 1994-1995, dont le décès pourrait être attribué au « syndrome des Balkans » est à l’origine d’une telle démarche. Elle recoupe des inquiétudes similaires exprimées tout particulièrement en Belgique, mais aussi en Espagne, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Portugal et en Grèce.

Cette polémique doit être reliée à celle du « syndrome de la guerre du Golfe », qui a pris une forte ampleur aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Canada depuis 1994. S’agissant cependant de l’origine des décès et maladies inexpliqués de combattants ayant servi pendant le conflit avec l’Irak, l’exposition à des munitions contenant de l’uranium appauvri n’était que l’une des explications avancées : tour à tour, les gaz neurotoxiques, la pollution chimique, l’utilisation de médicaments expérimentaux comme la pyridostigmine, le « stress du champ de bataille », voire une anomalie chromosomique, ont été avancés pour tenter de fournir une explication aux quelque 100.000 cas qui, dans ces trois pays anglo-saxons, relèveraient du « syndrome de la guerre du Golfe ».

S’agissant de son « avatar » balkanique, les choses semblent plus simples mais aussi à un stade embryonnaire. Pour le moment, le président du conseil italien se borne à demander à l’OTAN des informations sur l’utilisation « géographique », en Bosnie, des munitions contenant de l’uranium appauvri. M. Amato va sans aucun doute obtenir satisfaction, comme l’a confirmé au Monde, mercredi 3 janvier, un porte-parole de l’Alliance atlantique. Cette demande de Rome a été officiellement adressée, à la fin de l’année dernière, par la représentation italienne auprès de l’OTAN et l’Italie est le seul pays à avoir agi ainsi, en dépit des inquiétudes exprimées, de façon informelle, par plusieurs autres pays membres de l’Alliance.

Au siège de l’OTAN, on rappelle que si les obus et projectiles contenant de l’uranium appauvri sont « les seuls capables de perforer les véhicules blindés », il s’agit de «munitions internationalement utilisées et légales », et il n’a donc pas été question d’ouvrir une enquête à ce sujet au sein de l’OTAN. Se fondant sur des rapports d’organisations scientifiques, un porte-parole de l’Alliance assure que l’uranium appauvri « est même moins radioactif que l’uranium naturel. Il n’y a aucune preuve scientifique, ajoute-t-il, que l’exposition à l’uranium appauvri puisse causer des problèmes sérieux pour la santé ».

Il est vraisemblable que la demande de M. Amato fera l’objet d’une réponse similaire à celle que lord Robertson, le secrétaire général de l’OTAN, avait apportée à Kofi Annan, son homologue des Nations Unies, lorsque celui-ci, en mars dernier, avait demandé des explications s’agissant de l’utilisation de munitions contenant de l’uranium appauvri lors du conflit du Kosovo, en 1999.

L’OTAN avait alors adressé à M. Annan une carte de la région montrant dans quels secteurs ces munitions avaient été employées, tout en confirmant que quelque 31 000 projectiles de ce type avaient été tirés, soit « à chaque fois » que des avions A-10 Thunderbold (les « tueurs de chars »), étaient entrés en action. S’agissant des opérations qui se sont déroulées en Bosnie dans les années 94-95, les chiffres avancés portent sur quelque 11 000 projectiles à l’uranium appauvri. La réponse - forcément dilatoire - de l’OTAN pourrait cependant ne marquer qu’une étape d’une prise de conscience européenne qui va grandissant. Le ministre belge de la défense, André Flahaut, a écrit la semaine dernière à son homologue suédois, Björn Von Sydow, pour lui demander que la Suède, qui préside l’Union européenne depuis le 1er janvier, entreprenne une démarche communautaire à ce sujet. La Commission de Bruxelles n’avait pas encore été saisie, mercredi, de cette initiative, sur laquelle M. Flahaut nous a apporté plusieurs précisions.

La Belgique, explique-t-il, en est encore « à une phase de récolte d’informations ». A ce jour, elle a constaté que sur 12 000 soldats ayant participé à des missions en Bosnie et en Slavonie, 1 600 ont fait état de « malaises divers et de problèmes de santé ». S’agissant, d’autre part, de ceux qui se sont rendus au Kosovo, si quatre cas de décès à la suite d’un cancer ont été constatés dans un seul bataillon, les analyses d’urine pratiquées en liaison avec une éventuelle exposition à l’uranium appauvri, « avant, pendant et après la mission, se sont révélées négatives ». En septembre dernier à Paris, devant le congrès de médecine nucléaire, le professeur Asaph Durakovic, ancien expert auprès du Pentagone, avait évoqué le rôle possible d’une exposition à l’uranium 236, une variété dite « appauvrie », s’agissant du « syndrome de la guerre du Golfe ». Il se basait sur les résultats d’analyses d’urine effectuées chez seize anciens combattants, montrant une « présence significative » d’uranium appauvri neuf ans après la fin du conflit.

André Flahaut reconnaît bien volontiers qu’à ce stade « aucun lien de causalité » n’a pu être établi entre les maladies et décès suspects au sein de l’armée belge et l’utilisation de munitions à l’uranium appauvri. « Je vais bientôt obtenir des informations sur la situation de l’armée belge, sur une base scientifique. Je crois donc utile de les mettre à la disposition d’autres pays. C’est une question que nous devrions examiner en commun, au niveau européen, et qui mérite de retenir l’attention d’une prochaine réunion des ministres de la défense », nous a-t-il indiqué.

Laurent Zecchini