04 Octobre 2000 - TRIBUNE LIBRE
Pêle-mêle
" UN AVION POUR L'IRAK "
http://www.humanite.presse.fr/journal/2000/2000-10/2000-10-04/2000-10-04-050.html
La chronique de Régine Deforges

J'ai rencontré Yves Buannic, fondateur de l'association Enfants du monde-Droits de l'homme, au cours d'un voyage au Vietnam. Nous avons
sympathisé et c'est tout naturellement que j'ai accepté de faire partie de cette association qui, dans diverses régions du monde, apporte son aide et son soutien aux enfants les plus démunis, créant écoles, dispensaires ou centres d'accueil. Au Brésil, à Madagascar, au Venezuela, en Turquie, en Colombie, au Vietnam comme en Jordanie, au Soudan, dans les Balkans... des membres d'Enfants du monde-Droits de l'homme luttent pour trouver des locaux et de l'argent afin de sortir les enfants des rues, les orphelins ou les infirmes de leur misère.

Avec d'autres organisations humanitaires, le père Buannic milite aussi pour la levée de l'embargo qui pèse sur l'Irak, tuant chaque semaine deux mille enfants. Six cent mille autres sont déjà morts, depuis la guerre du Golfe, par dénutrition et manque de soins. Sait-on que seulement 41 % de la population irakienne boit de l'eau potable ? Que les coupures d'électricité durent, parfois, dix heures par jour ? Que le taux de scolarisation, tous âges confondus, est tombé à 53 % en 1999 ? Que l'agriculture est moribonde ? Que 20 à 30 % de la maigre production de légumes sont perdus par manque de moyens de conservation ? Que le salaire moyen mensuel est de six mille dinars (environ vingt et un francs) et qu'avec cette somme, les Irakiens ne peuvent s'acheter que dix oufs ou un demi-poulet ou trois paquets de cigarettes ?... Manger ou fumer, il faut choisir !

" La guerre du Golfe a donné l'occasion, aux troupes américaines et britanniques, d'utiliser, pour la première fois en temps réel et sur le terrain de conflit, l'uranium appauvri [...] . Lors de l'impact, les projectiles produisent un aérosol de particules radioactives, à rayonnement alpha, qui pénètrent dans les alvéoles pulmonaires des combattants. La pénétration dans l'organisme de ce métal lourd entraîne, par ailleurs, une toxicité qui produit des lésions graves, essentiellement rénales. Les zones des combats sont contaminées pour des milliards d'années par ces poussières radioactives extrêmement fines qui sont transportées par les vents sur plusieurs dizaines de kilomètres et par l'eau de surface pour pénétrer, enfin, dans la nappe phréatique ", a observé le Dr Alexandre Boskowitz (1). Cet uranium appauvri empoisonne, à moyen terme, les fantassins qui en respirent l'aérosol radioactif et, à plus long terme, l'environnement comme les populations civiles. Des milliers d'enfants naissent à présent difformes, se voient atteints de leucémies, de cancers ou de diverses affections dues à cet uranium. On estime à cinq ou six mille, les munitions à base d'uranium appauvri qui ont été tirées par les chars et à neuf cent quarante mille, les munitions de même type tirées par les avions A-10 ; estimations maintenant confirmées par les ministères de la Défense américain et britannique. Or, en dépit de ces terribles conséquences, aujourd'hui connues de tous, raids et tirs de missiles auxquels procèdent des forces aériennes américano-britanniques, toujours équipées des mêmes armements, se succèdent depuis décembre 1998 à un rythme quasi journalier.

Alors, assiste-t-on à un génocide programmé ? Est-on complice d'un nouveau crime contre l'humanité ? C'est ce que pensent certains... Aussi, quand le père Buannic m'a demandé de partir pour l'Irak, afin de dénoncer le mal infligé par l'embargo à la population civile de ce pays, j'ai accepté, malgré la crainte que cet acte de compassion ne soit interprété comme un geste de sympathie envers le régime de Saddam Hussein. Je ne me trompais pas puisqu'un député socialiste, François Loncle, a écrit, dans Libération du 29 septembre : " Mais la cause humanitaire - aussi nécessaire et noble soit-elle - ne peut servir à occulter l'implacable réalité du régime irakien, au risque de l'absoudre, au pire de la cautionner. " Peut-on vraiment soupçonner ceux qui, vendredi dernier, ont attendu en vain, à Roissy, " un avion pour l'Irak ", de soutien à ce régime détestable ? Nous ne sommes pas suffisamment naïfs pour ne pas savoir que notre présence, en Irak, aurait risqué d'être utilisée par celui-là même que nous dénonçons. On a cru voir la main des Etats-Unis derrière l'interdiction de ce vol et c'est assez vraisemblable; ça ne serait pas la première fois qu'un gouvernement français se rangerait à la botte d'un gouvernement américain... Pendant ce temps-là, Saddam Hussein espère, selon Gilles Paris, du Monde, " qu'en restant intraitable, cet embargo absurde finira par tomber de lui-même ". C'est ce que pensait Fidel Castro... L'embargo de Cuba dure depuis bientôt quarante ans !.

(1) Pédiatre de l'association Enfants du monde-Droits de l'homme.